Égypte : l’armée chasse Morsi du pouvoir

3 Juillet 2013



Après plusieurs jours de manifestations, les occupants de la place Tahrir ont obtenu gain de cause. Le président Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, a été démis de ses fonctions par l'armée. L'État major a annoncé une période de transition pilotée par la Cour constitutionnelle. Au Caire, la situation est explosive, entre liesse des révolutionnaires et colère des pro-Morsi qui dénoncent le coup d'État.


Crédits photo | Magued Ramsis
Crédits photo | Magued Ramsis
Les manifestations ont débuté à Luxor, à l’occasion de la nomination d’Adel Al-Chajat comme gouverneur de province, le 16 juin. M. Al-Chajat est membre du groupe Gamaa Islamiya, le groupe islamique responsable du massacre à Luxor en 1997, provoquant 62 morts dont beaucoup de touristes.

Cette nomination allait de pair avec la nomination de 13 gouverneurs d’affiliation islamique, provoquant de premières manifestations. Le 28 juin, trois personnes étaient tuées à Alexandrie, lors de manifestations violentes. Les manifestations à l’occasion de l’anniversaire de la présidence le 30 juin restaient généralement pacifiques. Il s’agissait « des plus grandes manifestations pacifiques que l’Égypte ait vues », décrivait un correspondant d’une chaîne allemande les événements. Ces manifestations, qui réunissaient 14 millions de manifestants sur la place Tahrir, selon des chiffres de l’armée, ont considérablement fragilisé le président. Plusieurs ministres et gouverneurs avaient démissionné ou refusaient de travailler pour le gouvernement central.

L’ampleur des manifestations du 30 Juin, lancées par le mouvement Tamarrud (« Rébellion »), était inédite. L’érosion du pouvoir de M. Morsi avait commencé, même si un correspondant du Journal International, dans le sud du pays ce jour-là, décrit un sud paisible. Le 2 Juin, M. Morsi s’est dit confiant de rester au pouvoir, refusant un ultimatum de 48h posé par l’armée.

M. Morsi, élu président d’Egypte après la révolution le 24 juin 2012, est membre du groupe islamiste des Frères musulmans. Sa présidence était marquée par une division grandissante du pays, accompagnée d’une crise économique grandissante : des coupures de courant fréquentes et un niveau de prix galopant ont fait monter la gronde populaire. L’opposition reste néanmoins divisée et peu organisée. Le premier président sortant d’un vote considéré libre et démocratique par les observateurs, se voit confronté aux attentes d’une population qui n’a plus peur de descendre dans la rue.

Une accélération subite ces derniers jours

Depuis plusieurs jours, une foule toujours plus nombreuse se massait Place Tahrir et demandait la démission du gouvernement. Ces derniers jours, tout s’est accéléré. L’armée, qui soutenait jusqu’alors le pouvoir, a adressé au président un ultimatum, lui enjoignant de « satisfaire les demandes du peuple ». Le président, resté silencieux, a finalement annoncé, après l’expiration du délai fixé, la nécessité de mettre en place un cabinet de consensus. Dans la journée, tout s’était emballé. L’armée s’est déployée dans les rues du Caire. Parallèlement, le président Morsi, soumis à l’ultimatum, s’est vu interdire de quitter le sol égyptien. Les consignes ayant été transmises aux aéroports, lesquels ont confirmé l’information à l’AFP.

Ce soir, l’armée a annoncé sur sa page Facebook qu’elle prononcerait un communiqué. Pour leur part, les forces politiques d’opposition se sont rassemblées derrière Mohamed El Baradei, ancien diplomate cairote, un temps pressenti pour la succession de Moubarak. Ces forces d’opposition, réunies sous la bannière « Front de salut national » avaient annoncé qu’elles prendraient la parole ce soir pour annoncer une feuille de route.

Le communiqué est intervenu vers 21h15, après que les forces militaires ont pris place à divers endroits stratégiques de la ville, particulièrement au siège de la télévision nationale et à Nasr, où s’étaient réunis les manifestants pro-Morsi.

Une transition technocratique

Le chef des armées, Al-Sissi, a lui-même pris la parole en direct, sur la chaîne de télévision nationale. Il était entouré de la plupart des leaders politiques et religieux du pays : El Baradei, le pape copte, les leaders salafistes, le cheikh d’al Azhar. Il a annoncé une série de mesures conformes aux attentes des manifestants.

— Il a confirmé la fin du mandat de Mohammed Morsi.
— Il a annoncé le début d’une période de transition — la durée n’a pas été précisée. Lors de cette période, la constitution sera modifiée et des élections présidentielles puis législatives auront lieu.
— La Cour constitutionnelle assurera le pouvoir durant cette période, l’armée n’aura aucun rôle politique. La plupart des juges de la Cour constitutionnelle ont été nommés sous Moubarak, mais l’Égypte, depuis l’empire napoléonien, a une approche très française du droit. En l’espèce, la Cour constitutionnelle a une réelle indépendance. Notre contact sur place parle de « décision historique ». Le président de la Cour constitutionnelle, Adly Mansour, devrait prêter serment jeudi 4 juillet. Il deviendra le président par intérim et la constitution sera suspendue.  
— La liberté d’expression et de presse est garantie.

À la suite du discours d'Al Sissi, les représentants se sont succédé pour annoncer qu’ils soutenaient le plan. La foule place Tahrir a accueilli ces nouvelles avec une liesse d’une ampleur comparable, voire supérieure à celle du 11 février 2011.

El Baradei a précisé que le peuple égyptien avait montré sa volonté de faire front pour la liberté et la dignité. Une commission de réconciliation va être mise en place. Tous ont appelé à l’union nationale. 

La situation reste très instable

Malgré ces annonces, plusieurs interrogations demeurent : malgré le démenti de l’opposition, certains redoutent une pression de l’armée sur les leaders politiques et religieux qui les aurait poussés à s’afficher et se ranger du côté de l’armée. La vision historique des éminences du pays rassemblées derrière l’armée n’a pas été sans susciter un certain malaise chez les révolutionnaires.

Actuellement, l’armée entoure les manifestants islamistes rassemblés en soutien à Morsi. Le ministère des Affaires étrangères de Morsi a dénoncé un coup d’État. Morsi, quant à lui, serait dans un siège des renseignements militaires. Il a qualifié la situation de coup d’État et a appelé la population à résister pacifiquement.

La liesse place Tahrir n’est pas générale. Des mouvements de foule devant deux chaines de télévision, une révolutionnaire et une islamiste, nous ont été rapportés par l'un de nos correspondants sur place. Le signal de la télévision publique subit quelques coupures temporaires. La chaîne des Frères musulmans a quant à elle cessé d’émettre, coupée par les militaires.

L'armée reste présente à de nombreux carrefours importants de la capitale.

L'armée volontairement en retrait

Depuis le début de la journée, l’armée se place volontairement en retrait, répétant à plusieurs reprises agir pour le compte de la population. Un tel comportement semble normal. La dernière transition démocratique, menée par l’armée en 2011 a laissé un souvenir plutôt mitigé à la population. Le nouveau pouvoir égyptien, du fait de la situation économique très difficile, va devoir prendre des mesures particulièrement impopulaires. Pour l’armée, il s’agit donc de prendre une certaine distance pour conserver le crédit dont elle dispose.

L'avenir des Frères musulmans en suspens

Mohamed Morsi était un membre des Frères musulmans. Chassé du pouvoir, leur chaîne de télévision censurée, comment peuvent-ils agir ? Ils avaient remporté les dernières élections, reconnues comme démocratiques par les représentants internationaux. Dès lors, malgré l'impopularité de Morsi, ils demeurent une importante force politique. Morsi et les Frères musulmans ont dénoncé les derniers mouvements de l'armée et ont appelé à une résistance pacifique. Néanmoins, l'incompétence de Morsi à gérer les questions économiques s'est accompagnée d'une perte de légitimité relative.

Les experts de la question égyptienne soulignent la qualité de la machine électorale des Frères musulmans. Les autres forces politiques, rassemblées derrière le respecté El Baradei, ne disposent pas d'une telle capacité à amener leurs électeurs aux urnes. Par ailleurs, si Baradei fait consensus comme leader, ils sont nombreux à lui reprocher son manque de charisme. De fait, les Frères musulmans, lors d'une éventuelle élection dans les six prochains mois, pourraient réunir environ 40 % des suffrages exprimés.


Sébastien Bossi avec Yann Schreiber et nos correspondants au Caire.

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